Le philosophe Charles Pépin vient de publier un essai passionnant sur la Rencontre. Cette lecture m’a enthousiasmée!

Essentielle pour agrandir sa vie, la véritable rencontre nécessite d’être disponible et de se laisser surprendre. Devenir soi en rencontrant d’autres, intensifier sa vie et l’agrandir, voici quelques uns des cadeaux de la rencontre.
A mon tour, j’ai eu envie de vous partager une rencontre , improbable, qui m’a offert tout cela.

Après avoir roulé toute la journée dans le Serengeti, je décide de m’arrêter pour boire et faire une « pause technique ». J’entre dans des sanitaires étouffants et laisse la porte ouverte derrière moi pour faire circuler l’air. Je m’apprête à entrer dans les toilettes, lorsque j’entends un léger bruit derrière moi. Je me retourne et je vois une femelle babouin qui, profitant de l’accès, se précipite sur le lavabo pour ouvrir le robinet et boire à grandes gorgées.

C’est alors qu’elle me voit. Je me fige pour l’observer, curieuse de voir ce qu’elle ferait après s’être désaltérée. Elle me regarde, sur le qui-vive, prête à s’enfuir et se mettre à l’abri. Ses mamelons pendants et irrités laissent penser qu’un petit l’attend quelque part.

Je ne veux pas qu’elle se sente acculée. Ce qui est le cas puisque je me trouve entre elle et la sortie. Je me décale légèrement, pour quelle sente que mon intention n’est pas de la piéger et lui laisser la possibilité de partir.

Je ne veux pas qu’elle se sente agressée. Or, avec le lion, l’homme est son prédateur. Imperceptiblement, je me fais plus petite. Elle me regarde, droit dans les yeux mais jamais plus de 1 ou 2 secondes. J’essaye de faire de même, mais c’est difficile tellement je suis fascinée et absorbée par cette rencontre.

Je suis toute entière devenue babouine. Nous ne sommes qu’à 5 ou 6 mètres l’une de l’autre. Je suis sûre qu’elle sait parfaitement comment et par où bondir pour s’échapper. À aucun moment je ne perçois la possibilité d’une attaque pour se défendre, contrairement à ce que tous les rangers nous rabâchent.

Je m’approche, tout doucement, jusqu’au lavabo. Elle se trouve à quelques centimètres de moi. Je tends mes mains réunies en creux vers le filet d’eau qui coule. Emplies d’eau, je les lui tends avec l’idée un peu ridicule de lui donner à boire… Alors qu’elle vient de boire jusqu’à plus soif. Mais en réalité c’était au fond un geste de rencontre de ma part, offrant de l’eau en cadeau comme certains offrent des coquillages ou des pierres de couleur. Et, alors qu’elle n’a aucune raison de boire à nouveau, elle s’approche, courbe la tête et lape le maigre fond d’eau entre mes mains.

Car c’est bien de cela dont il ne s’agit pas : de raison.

Ce matin-là, elle prit le risque de m’offrir sa nuque, pour répondre à ma soif de rencontre, et m’offrit ce merveilleux cadeau d’un échange de cœur à cœur, pacifié, tout en douceur. Ce jour-là, une maman babouin, dont la survie du bébé dépendait, a choisi de répondre à mon appel, et ce choix ne pouvait être ni dicté par l’instinct ni programmé par des gènes, mais à l’évidence motivé par le désir de la rencontre et de l’échange, et sans doute aussi par la curiosité.

En m’offrant sa vulnérabilité, elle m’a en réalité offert la connaissance que de la confiance peut naître la magie d’une rencontre improbable.